Aller au contenu principal
29 février 2012 / C. Mandal

Amour et liquéfaction

Alors qu’en français la liquéfaction est plutôt associée à un sentiment de peur, en hindi, la liquéfaction renvoie plutôt au sentiment amoureux et à la pudeur fémine. Le fait de devenir « eau » ou d’être tout « mouillé » est une métaphore fréquente dans les chansons populaires.

La première qui m’ait mise sur la piste, c’est la chanson Ringa Ringa du film Slumdog Millionaire. Les paroles sont de Gulzar et la musique d’A. R. Rahman. En voici les couplets :

खाटीए में मैं पड़ी थी
और गहरी नींद बड़ी थी
आगे क्या मैं कहूँ साखी रे !
एक खटमल था सयाना
मुझ पे था उसका निशाना
चुनरी में घुस गया धीरे धीरे !
कुछ नहीं समझा वह बुद्धू
कुछ नहीं सोचा
रेगके जाने कहाँ पहुँचा

(…)
कितना मैं तड़पी थी
कितना मैं रोई थी
मैं तो थी अच्छी भली
क्यों भला सो गई थी
निगोड़े ने मुझको चैन लेने ना दिया
रोना भी चाहा तो मुझको रोने ना दिया
ऐसी थी उसकी हरजाई की मकड़ी
मेरे तन बदन में थी लगी चिनगारी

(…)
हौले से गुदगुदाता
दिल में हलचल मचाता
मैं शर्म से थी पानी पानी !
जो उसको ढूँढती मैं
चुपके से वह छुप जाता
ऐसी थी वह मेरी कहानी
यूँ समझ लो खटमल का शिकार हुई थी मैं
उसके आगे हार गई थी मैं

(…)

khāTīe m maĩ paRī thī
aur gaharī nīnd baRī thī
āge kyā maĩ kahū̃ sākhī re !
eka khaTmal thā sayānā
mujh pe thā uskā niśānā
cunarī mẽ ghus gayā dhīre dhīre !
kuch nahī̃ samjhā voh buddhū
kuch nahī̃ socā
regke jāne kahā̃ pahũcā
(…)
kitnā maĩ taRpī thī
kitnā maĩ roī thī
maĩ to thī acchī bhalī
kyõ bhalā sō gaī thī
nigoRe ne mujhko cain lene nā diyā
ronā bhī cāhā to mujhko rone nā diyā
aisī thī usakī harjāī kī makaRī
mere tan badan mẽ thī lagī cingārī
(…)
haule se gudagudātā
dil mẽ halcal macātā
maĩ śarm se thī pānī pānī !
jo usko Dhū̃Dhatī maĩ
cupke se voh chup jātā
aisī thī voh mērī kahānī
yū̃ samajh lo khaTmala kā śikār huī thī maĩ
uske āge hār gaī thī maĩ
(…)

Que l’on peut traduire ainsi :

(…)
J’étais couchée sur le lit
Et dormais profondément.
Que vous dire d’autre, amis !
Il y avait là une punaise de lit maline.
J’étais sa cible.
Elle s’est lentement enfilée dans mes vêtements.
Cette idiote n’avait rien compris !
Elle n’avait pensé à rien !
Allez donc savoir où elle s’est retrouvée !
(…)
J’ai tant souffert !
J’ai tant pleuré !
J’étais fort bien,
Pourquoi m’être endormie ?
La vilaine ne m’a pas donné de répit.
C’est à peine si elle m’a laissée pleurer !
Telle était cette bestiole frivole.
Tout mon corps était en feu.
(…)
Elle m’a chautouillée gentiment.
Elle a créé un véritable tumulte dans mon cœur.
Je me suis liquéfiée de honte !
Moi, je la cherchais,
Et elle, elle se cachait.
Telle est mon histoire.
Sachez juste que j’ai été la proie d’une punaise,
Et que je lui ai succombé !

J’ai retranscrit toute la chanson, trouvant la métaphore de la punaise fort amusante.

J’ai retrouvé quasiment la même expression dans une autre chanson, « Morne Baga Ma Bole », du film Lamhe (1991), rendue célèbre par l’interprétation qu’en a fait Sridevi. Un des couplets commence ainsi :

मैं तो लाज के मारे हो गई पानी पानी
सब लोगों ने सुन ली मेरी प्रेम कहानी

maĩ to lāj ke māre ho gaī pānī pānī
sab logõ ne sun lī merī prem kahānī

Me voilà morte de honte,
Tout le monde a entendu mon histoire d’amour.

L’expressions « śarm se pānī pānī ho jānā » (« se liquéfier de honte ») ne renvoie pas seulement à la pudeur fémine face aux avances d’un galant, mais au sentiment de honte en général, comme l’illustre cette phrase tirée d’une petite histoire édifiante mettant en scène le sage Tukaram : « इस व्यवहार पर वह व्यक्ति शर्म से पानी-पानी हो गया और माफी मांगते हुए तुकाराम के चरणों में गिर पड़ा। » (« Son comportement fit mourir celui-ci de honte et demandant pardon à Tukaram, il se jeta à ses pieds »).

Mais si j’ai associé « eau » et « amour », c’est plus particulièrement à cause d’une autre expression, celle de « gīlā man » (« esprit mouillé »), que l’on trouve entre autres dans la chanson « Meraa Kuchh Saamaan » du film Ijaazat (1987) et qui est une expression assez courante  en poésie pour représenter la condition de l’esprit ou du cœur tout attendri d’amour (n’oublions pas que « man » en tant que siège des émotions est souvent plus volontiers traduit par « cœur »). Il s’agit cependant d’un amour teinté de nostalgie, marqué du sceau du souvenir et des larmes. En effet, le cœur mouillé est avant tout un cœur trempé de pleurs. Bien que ne contenant pas l’expression « cœur mouillé », le refrain de cette chanson, tirée du film Gangster (Mahesh Bhatt, 2006) et interprétée par Atif Aslam, illustre bien ce paradigme métaphorique de l’eau :

भीगी भीगी सी हैं रातें
भीगी भीगी यादें
भीगी भीगी बातें
भीगी भीगी आँखों में कैसी नमी है !

bhīgī bhīgī sī haĩ rātẽ
bhīgī bhīgī yādẽ
bhīgī bhīgī bātẽ
bhīgī bhīgī ā̃khõ  mẽ kaisī namī hai ?

Les nuits sont trempées
Les souvenirs, trempés
Les mots, trempés
Qu’est-ce là qui coule de mes yeux trempés ?

4 commentaires

Laissez un commentaire
  1. Chhaya / Mar 2 2012 12:26

    L’eau est un élément sensuel qui éveille le désir féminin tel dans la chanson टिप-टिप बरसा पानी ‘Tip-tip barsa pani’ du film Mohra.

    टिप-टिप बरसा पानी पानी ने आग लगाई
    आग लगी दिल में तो दिल को तेरी याद आई
    तेरी याद आई तो जल उठा मेरा भीगा बदन
    अब तुम ही बताओ साजन मैं क्या करू
    tip-tip barsaa paani paani ne aag lagaayi
    aag lagi dil mein to dil ko teri yaad aayi
    teri yaad aayi to jal uthaa mera bheega badan
    ab tum hi batao sajan main kya karu

    ‘Tip-tip l’eau de pluie tombe l’eau met le feu
    Le feu dans mon coeur eveille ton souvenir
    Ton souvenir met le feu à mon corps
    Maintenant dit moi chéri que faire.’

    L’eau fait bruler de désir le coeur et le corps du personnage féminin.

    • C. Mandal / Mar 2 2012 10:35

      Il y aurait en effet beaucoup à dire sur les humeurs et les émotions traditionnellement associées à la pluie et à la mousson… Alors que chez nous la pluie évoque plutôt grisaille et ennui, en Inde, c’est tout à fait le contraire…

  2. Clio K / Avr 29 2012 6:14

    C’est drole, en grec, nous utilisons aussi le fait de se liquefier dans les metaphores erotiques.

    • C. Mandal / Avr 29 2012 6:45

      C’est intéressant en effet !
      Je ne sais pas ce qu’il en est du grec, mais je trouve qu’en hindi, en tous cas le hindi des chansons populaires, l’imagerie, les métaphores liées à l’amour sont bien plus « sensuelles » qu’en français ou l’aspect physique de l’amour tend toujours à être sublimé…
      J’ai entre autre en tête des expressions comme « meri pyaas bujha do » (littéralement « éteins ma soif ») etc.

Laisser un commentaire