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26 juillet 2011 / Chhaya

Mais, t’es indienne ? Et, c’est où l’Assam ?

Ce n’est pas la première fois que Sunita entend cette question et elle finit toujours par répondre : « T’as pas étudié la géographie à l’école ? ». Indienne de l’Assam , un état du Nord-Est de l’Inde, Sunita a l’habitude de ce genre de questions.  Pour peu qu’on l’a traite de « chinky » (mot péjoratif signifiant chinois), elle m’explique que l’Assam est une région mé-connue de ses compatriotes. Les Assamais et autres Indiens du Nord-Est  qui viennent travailler en grand nombre à Delhi sont souvent perçus comme des étrangers aux mœurs différentes. Les femmes du Nord-Est sont particulièrement visées. Elles sont plus faciles à identifier par leur visage aux traits légèrement différents, et puis habituées à leur indépendance, elles travaillent, sortent et vivent plus librement ; pour cette raison elles sont perçues comme plus disponibles/accessibles et sont souvent victimes de harcèlements et de violences. La police distribue même des fascicules destinés exclusivement aux femmes du Nord-Est, leur demandant de ne pas mettre de jupes trop courtes ou des habits trop serrés. Ainsi la police elle-même rend ces femmes responsables des comportements prédateurs des hommes de Delhi, souvent originaires de régions du Nord de l’Inde (Punjab, Haryana, Uttar Pradesh), des régions où le ratio homme-femme oscille autour de 800 pour 1000 et où la liberté des femmes est souvent plus restreinte que dans d’autres États.

L’Assam, situé dans la vallée du Brahmapoutre (une des rivières sacrées de l’hindouisme), fait partie de l’histoire divine et mythologique de l’Inde.  Avant que je rencontre Sunita, un ami bengali m’avait raconté l’histoire de la mort de Sati, la première femme de Shiva.  Le roi Daksha, le père de Sati, n’aimait pas son beau-fils. Il organisa un grand sacrifice védique sans inviter Shiva. Mise en rage par l’affront fait à son époux, Sati se lança dans le feu sacrificiel, rendant ainsi le feu impur. Shiva inconsolable de la mort de sa femme la prit sur ses épaules et se mit à danser. La violence de sa danse (Tandava) fut telle que la terre trembla. Vishnu voyant l’existence du monde menacée, lança son sudarshana chakra (une arme en forme de roue) pour détruire le corps de Sati. Celui-ci fut déchiqueté en 51 morceaux qui atterrirent de part et d’autre du bharat varsha (bharata varsha est un des noms mythiques de l’Inde, il signifie « le royaume de Bharat », un roi légendaire de l’Inde, d’où le nom aussi de l’épopée, le Mahabharata). Libérer du poids de sa femme défunte, Shiva interrompit sa danse de deuil et partit méditer dans la montagne. Parvati, la seconde épouse de Shiva est la ré-incarnation de Sati.

Cette histoire est importante en Assam car le yoni (la vulve) de Sati a atterri dans la région et le temple de Kamakhya à Guahati, aujourd’hui encore lieu de pèlerinage et grand centre tantrique, a été érigé à l’endroit même de sa chute.  Tout ça n’est pas de l’histoire ancienne et la déesse fait partie intégrante de la vie réligieuse des jeunes assamaises, même quand elles ont quitté leur ville natale pour la capitale, portent des jeans et boivent lors des soirées. J’ai rencontré Sunita fin juin, au début de la mousson, et comme la plupart de ses compatriotes du Nord-Est, elle avait interrompu ses dévotions journalières à la déesse, car celle-ci a ses règles.

L’histoire de Kamakhya est raconté en grand détail dans le texte tantrique Kalikapurana. Il a été rédigé dans l’ancien royaume de Kamarupa, devenu ensuite royaume d’Ahom vers 1228 sous la dynastie des Thais. Le mot a ensuite été sanskritisé et a donné Assam. Envahie par les birmans au début du XIXe siècle puis prise en main par les Anglais, sous le Raj, la région a été administrée à partir du Bengale voisin. Région majoritairement hindoue, l’Assam a été intégré à l’Inde en 1947, mais des tensions éthniques ont divisé la région et en ont rétrécies les frontières administratives.

La culture bengali a aussi eu une emprunte sur la culture assamaise. L’alphabet est bengali à l’exception de deux lettres. La langue assamaise est proche du bengali à un tel point que certains intellectuels ont longtemps considéré l’assamais comme un dialecte du bengali. Pourtant c’est une langue avec une littérature et culture propre dont les textes majeurs remontent aux Moyen-Âge et au mouvement de bhakti. Cette présence culturelle bengali est une source de discorde en Assam et les mouvements indépendantistes se sont souvent attaqués directement à des résidents bengali en Assam ou à des cinémas diffusant des films bengali.

Outre la langue, l’Assam a un artisanat propre, la région est connue pour sa soie. Une tradition de tissage de soie et de coton existe encore dans la région.

Coton tissé main avec fils argentés. Collection de Susmita Bharali.

L’habit traditionel des femmes est le mekhela sador (prononcé mekhla chador), il est constitué d’une jupe et deux tissus drapés sur le corps et sur la jupe. Les femmes le portent aujourd’hui avec une blouse.

Cet article est inspiré de témoignages et de conversations que j’ai eu avec des ami(e)s de l’Assam installé(e)s à Delhi.

Quelques articles à consulter pour aller plus loin:

Sur le racisme à Delhi les violences exercées  envers les femmes du Nord-Est :

Pages Wikipédia:

5 commentaires

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  1. Indomaniaque / Juil 26 2011 11:43

    Félicitations pour votre blog que j’ai découvert grâce à un de vos commentaires sur « l’Inde aujourd’hui ». Je n’ai pas encore tout lu mais ça semble prometteur.

    J’ai moi-même un blog sur l’Inde, je dois dire en sommeil depuis quatre mois, n’hésitez pas à y faire un petit tour. J’essaie d’y décrire ce que le touriste n’y voit pas, c’est à dire la vie quotidienne.

    • C. Mandal / Juil 27 2011 11:07

      Merci pour vos remarques et vos encouragements !
      Votre blog est passionnant et laisse paraître en effet que vous êtes passionnée bien informée ! J’espère que vous continuerez à poster régulièrement de nouveaux articles.
      Quant à nous, l’aventure vient juste de commencer…

  2. C. Mandal / Juil 29 2011 10:22

    Il serait intéressant de savoir pourquoi les Indiennes du Nord-Est ont une mentalité plus libre et plus indépendante que leurs compatriotes des autres régions…
    Est-ce que la structure de la famille est moins patriarcale ?

  3. C. Mandal / Mar 6 2012 9:43

    Aruni Kashyap, jeune auteur assamais compare un roman nigérian avec la situation des Etats du Nord-Est de l’Inde… Un article éclairant…
    http://www.nelitreview.com/2012/03/other-words-chimamanda-adichies-fiction.html

  4. C. Mandal / Mar 19 2012 4:51

    Encore une anecdote qui met en évidence le fossé d’incompréhension qui sépare Delhi, de l’Assam, et de façon plus générale… Il s’agit ici d’un film assamais rejeté par le jury des National Awards comme étant non-assamais, les raisons avancées étant totalement risibles…
    http://www.telegraphindia.com/1120318/jsp/frontpage/story_15264296.jsp

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